TEDx Casablanca: Je blogue donc je suis [Slides, French Language Script and an… Inaudible Video]

Casablanca, 25 Septembre 2010.

Eugène Delacroix l’avait compris: “J’ai beau rechercher la vérité dans les masses, je ne la rencontre que chez les individus”.

Grâce a ses récits de voyage et a ses somptueuses peintures Delacroix nous a transmis les détails du quotidien d’une société marocaine qu’il aurait été impossible d’imaginer autrement… même si on peut se demander ou il a bien pu aller chercher certains de ses modèles (Cf. Odalisque).

Si Delacroix vivait de nos jours il aurait tenu son propre blog.

Le blogging et le Web 2.0 plus généralement permettent d’opposer mass media et medias citoyens (ou individuels).

Le Web 2.0 c’est des millions d’individus qui créent un contenu multimédia riche et constamment mis a jour.

C’est 500 millions d’utilisateurs actifs sur Facebook (plus de 15 fois la population du Maroc), 190M sur Twitter, qui débitent plus de 750 tweets la seconde; 650 millions tweets par jour.

Au Maroc il y aurait un demi million de marocains actifs sur Facebook, quelques centaines sur Twitter. Il n’y a pas de chiffres officiels pour les blogs au Maroc mais on les estime à 80.000.

Au delà des chiffres, le plus remarquable peut être est la diversité de la blogosphere marocaine et son dynamisme.

Mais quel impact a t-elle réellement?

J’ose croire que ces blogueurs, microblogueurs, facebokeurs, en partageant quelques détails de leurs vies quotidiennes, en exprimant leurs opinions librement, sont peut être en train d’écrire le corpus de l’histoire contemporaine de ce pays. Autrement dit, l’histoire est peut être en train d’être écrite pour la première fois par ses propres acteurs; par des Delacroix en puissance.

Le Web 2.0 permet aux citoyens de se réapproprier la parole publique. Il leur permet d’être entendu et d’avoir potentiellement un impact sur la réalité autour d’eux.

Exemple…

Le 8 Juillet 2007, un citoyen marocain, armé d’une simple camera video décide de filmer une scène de la vie quotidienne dans les environs de son village isolé au nord du Maroc. Il se poste très tôt le matin discrètement sur le toit d’une maison surplombant un croisement où un barrage de police est d’habitude dressé. Il fait en sorte a ce que personne ne se doute de sa présence et se met a filmer dès que les policiers se mettent en place. Sur sa vidéo on peut voir des agents d’autorité arrêter des véhicules à une intersection du village. Le reste c’est de l’histoire.

Une scène de la corruption quotidienne à laquelle malheureusement beaucoup de marocains ne sont que trop familiers. Mais les vidéos sont postés sur le site de partage de vidéo en ligne YouTube. Deux autres suivront. Elles feront le tour du monde et seront vu par des millions d’internautes. Diffusés sur les chaînes d’information en continue, ils sont au centre de débats télévisés; inclus dans un documentaire projeté dans plus de 45 pays a travers le monde.

Contre toute attente, les autorités marocaines réagissent et des mesures sont prises pour appréhender les contrevenants.

Ces vidéos créeront une tradition : La technique est reprise par d’autres au Maroc et ailleurs. On se met a filmer et photographier la fragilité des infrastructures, les inondations dans les gares et les aéroports, les conséquences des pratiques peu soucieuses pour l’environnement de certains responsables ou de certains grands groupes immobiliers privés (et publiques) en particulier au nord du pays… etc.

C’est la société civile en marche, seulement elle s’est alliée un outil redoutable.

Un citoyen ordinaire aujourd’hui, muni de bonnes intentions peut changer les choses, il peut lancer le débat a lui tout seul.

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Le 11 septembre a été un révélateur. A l’image d’épinal du Maroc de l’artisanat, de la bonne cuisine et des chameaux qui courent les rues de Casablanca comme tout le monde sait, dans les médias dominants s’est greffée de plus en plus l’image du musulman extrémiste et violent.

Edward Said l’avait remarqué : “Très peu des détails, de la densité, de la passion de nos vies sont entrés dans la conscience même de ceux dont le métier est de couvrir le monde arabe. Ce que nous avons c’est plutôt une série de caricatures essentielles, vulgaires du monde islamique présentées de telle sorte à le montrer perpétuellement vulnérable.”

Cela dit, la vision des médias dans notre région du monde ne manque pas de distorsions non plus… et au stéréotype arabe et moyen oriental perpétuellement remis au goût du jour, on oppose souvent celui de l’occidental tantôt surpuissant tantôt grossièrement vulgaire et incompétent.

Le Web 2.0, pour peu qu’on sache s’en servir, a le potentiel de faire sauter bon nombre de ces clichés en rapprochant les individus les uns des autres, en réduisant les intermédiaires entre eux.

Sur les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook ou Linkdin il est estimé qu’entre deux personnes il existe à tout moment une chaîne intermédiaire de 5 personnes en moyenne. La théorie des six degrés de séparation, née à la fin du 19eme siècle en Hongrie, n’est désormais plus un mythe.

Les anciens murs tombent, les frontières culturelles ou géopolitiques changent de perspectives..

Cependant, il persiste une barrière de taille, celle de la langue.

Je ne suis pas un bon blogueur moi même, mais j’ai développé une véritable passion pour le bridge-blogging. Je passe la majeure partie de mon temps sur Internet avec les “Global Voices” … Ce sont les xenophiles du Web… Ils ont en commun la chance de parler plusieurs langues. Ils sont mu par la volonté de jeter les ponts entre les cultures et par la conviction que nous avons plus en communs que ce que laisseraient croire les clichés et les stéréotypes sur les uns et les autres. Ils considèrent également que l’accès et la liberté d’expression sur Internet doivent être considérés comme des droits humains à part entière.

Ils sont quelques 300 volontaires dont la tache et de suivre tout ce qui se fait, se dit sur le Web 2.0, de le traduire en autant de langues que possible et de l’offrir au plus large public possible.

En ce qui concerne le Maroc nous avons remarqué que les blogueurs et les utilisateurs du Web 2.0 évoluaient dans des mondes à part. Ceux qui bloguent en arabe interagissaient peu avec ceux qui bloguent en français, alors que ces derniers s’aventuraient rarement au delà de leur zone de confort linguistique.

L’idée nous est venue il y a presque un an jour pour jour, avec mon amie Jillian C York, de créer une plateforme, Talk Morocco, que nous sommes en phase de transformer en une sorte de magazine en ligne de la blogosphere et qui réunirait, nous l’espérons, le plus large spectre linguistique, culturel et politique possible de blogueurs qui s’interessent de près ou de loin au Maroc.

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Grace au Web 2.0 aujourd’hui on est tous des “producteurs de contenu”.. nous pouvons produire l’information, la commenter, la filmer et la partager.

Malgré le scepticisme prévalent chez la plupart de mes amis sur Internet, je m’autorise à croire que le Web 2.0 façonnera les intéractions sociales et l’image d’un pays comme le Maroc dans les années à venir.

C’est une révolution en marche. La géographie change. Il est aujourd’hui tout aussi important d’être visible sur la carte immatérielle du Web 2.0 qu’il ne l’est dans le monde physique.

Pour que le Web 2.0 puisse réussir cependant il faut (1) une infrastructure digne du nom et la promotion du haut débit pour tous. L’accès à internet en haut débit doit être élevé au rang de droit de l’homme en raison des bénéfices innombrables et à moindre coût qu’il peut générer à des pays en développement comme le notre en terme de créativité, de commerce et d’éducation. (2) Il faut assurer la neutralité du réseau : l’idée que toute gestion disciminatoire du traffic par les fournisseurs d’accès détruit le fondement même d’un internet libre, rapide et ouvert à tous. (3) Il faut assurer enfin la prééminence de la liberté d’expression car seul dans une société ou cette forme de liberté est garantie, un débat informé et ouvert peut il avoir lieu. Les nouveaux espaces de liberté d’expression qu’offre le Web 2.0 sont une force créative pour le Maroc et toute censure est un non sens historique et economique.

J’aimerais que vous tous, xenophiles que vous êtes, sortiez d’ici avec la ferme conviction que bloguer est fondamentalement positif. Affirmez vos individualités, partagez les avec le monde, soyez authentique, exprimez vous en toute liberté car c’est dans vos individualités et vos differences que se situe la verité du Maroc d’aujourd’hui.

[Video (inaudible) de la présentation visible ici.]